Yann Moix : "Même quand on rompt, on ment"

Jeudi 10 Janvier 2019

Note : Yann Moix, dans le cadre d’une interview dans notre dernier numéro, s’est exprimé sur les femmes. Ses mots, nous les trouvons choquants. Nous le lui avons dit, et nous l’avons écrit. Ces mots - qui illustrent un jeunisme pour le moins banal - n’ont pas choqué que nous, et c’est tant mieux. En tant que journal, nous n’échangeons pas qu’avec celles et ceux qui pensent comme nous : nous affrontons la réalité, y compris quand elle nous heurte et nous malmène. Car c’est de ça qu’il est question. Cette pensée réductrice pour les femmes existe dans l’esprit de bon nombre de nos contemporains. Et la réalité de notre société, quand elle est mise au jour, nous intéresse car alors on peut la regarder droit dans les yeux. Tant mieux si de cela la discussion est née. Nous nous adressons au libre arbitre de nos lectrices et par conséquent ne voulons pas leur dire quoi penser.

Yann Moix emploie beaucoup le mot « patauger ». Le temps de l'enfance a dû être incommensurablement long pour lui. Ce fut un petit garçon martyr. Il s'est fait frapper aux rallonges électriques, mettre la tête dans la cuvette, a mangé sa merde. Il emploie aussi beaucoup le mot « chance ». Quand on vit l'enfer, on peut regarder le ciel.

Les femmes, dit-il, sont son salut. Une chance d'être regardé et enlacé. Mais comme il ne connaît pas ce langage, il fait tout pour se faire jeter, à chaque fois. Il y parvient et souffre comme il a souffert enfant, condamné perpétuel. Son livre pose la question de la fatalité familiale.

Peut-on se sauver de son enfance ? La cage mentale et affective est-elle de fer ? Dans son ouvrage, il raconte sa dernière rupture, le 16 septembre 2017. La dernière fois qu'il a vu Michelle, c'était dans ce café de rugbymen où nous avons rendez-vous, près de chez lui. Des néons rouges, des télés avec des matchs, des maillots sous vitre dédicacés au marqueur noir. J'apprécie l'anonymat du lieu. Yann Moix est un homme à vif, de verbe et de perception. Très intelligent, intelligence un peu gâchée par sa prétention. Mais j'ai surtout remarqué ses yeux saillants, ses yeux toujours un peu humides et un peu inquiets. Je suis sûre qu'il avait le même regard enfant. Tranché par la vie et en attente du regard de l'autre. Fondamentalement optimiste, il nage une heure par jour. Suivons ses mouvements.

Marie Claire : Quand on a lu votre livre, la première question que l'on a envie de vous poser est : comment allez-vous ?

Yann Moix : En pleine forme !

En ce moment, vous êtes seul, entouré de femmes, ou avec une femme ?

Avec une femme, depuis quelques mois.

Dans votre fonctionnement, le début d'une histoire implique fatalement la rupture. Vous pensez que cela va être ainsi jusqu'à votre mort ?

Oui, comme une mouche dans un bocal, c'est certain. Il faut voir la chance que j'ai. Je passe ma vie à rencontrer des filles extraordinaires, intelligentes, belles, gentilles, jeunes et à chaque fois, cette chance, je la refuse. Je la gâche. Je l'extermine. Elles ont toujours l'impression d'être sur un siège éjectable. Cette sensation d'insécurité est ce qu'il y a de pire, mais je ne fais rien de plus grave. Pendant que ce sentiment flotte, je suis gentil, facile à vivre.

Quelles sont vos plus belles qualités ?

Curiosité, humour et enthousiasme.

Les pires ?

Caractériel, colérique, impulsif. Et généreux. Je ne suis pas radin.

Quelqu'un de colérique et d'impulsif n'est pas si facile à vivre que ça…

Je ne supporte pas que l'on me force à faire quelque chose. Entendre : « N'oublie pas que l'on part pour Saint-Malo à 15 h » peut me rendre fou. Je suis un spécialiste des annulations de voyage le jour même. Les choses anticipées m'angoissent. La désolidarisation me rend fou aussi. Si une fille ne prend pas ma défense, si elle n'épouse pas ma cause, ça me détruit.

Chaque fois que je quitte une femme, je souhaite la mort de mes parents

Quand vous êtes avec une femme, voyez-vous les hommes comme des rivaux ?

Oui. Et je considère toujours que dans une compétition sentimentale, je perdrais. Je n'ai aucune confiance en moi et une self-estime proche de zéro. Autant dans la phase de séduction, je me sens absolument invincible – il peut y avoir quinze types, des surfeurs, des Ryan Gosling –, mais une fois que je suis avec la personne, si un type se met dans la zone de confrontation, je suis comme Jean Yanne : à la moindre difficulté, j'arrête tout.

Vous dites que ce livre est un suicide à l'aveu. Pourquoi un suicide ?

Il n'y a rien de plus difficile à dire que la vérité. Je ne connais personne qui la dise vraiment. Même quand on rompt, on ment. Si vous dites à une femme : « Je vais tout te dire », et qu'elle répond : « Tiens, donne-moi d'abord ton portable », on se liquéfie. Là, j'ai tout dit.

Vous écrivez que vous êtes très accroché au physique des femmes. Etes-vous attiré par un certain type ?

Je ne sors qu'avec des Asiatiques. Essentiellement des Coréennes, des Chinoises, des Japonaises. Je ne m'en vante pas. On essaie d'être dans la vérité et dans la franchise. Beaucoup de gens seraient incapables de vous l'avouer car c'est du racialisme. C'est peut-être triste et réducteur pour les femmes avec qui je sors, mais le genre asiatique est suffisamment riche, large et infini pour que je n'en aie pas honte.

C'est systématique ?

Je ne regarde même pas les autres. C'est grave.

Vous dites que les femmes, à un moment, sont « usées » et que vous avez besoin d'une femme « neuve ». Cette usure est physique ou relationnelle ?

C'est souvent physique. C'est un problème de désir. Il m'arrive souvent, au bout de quelques mois, de ne plus en avoir aucun pour la femme avec qui je suis. Et dès lors qu'il n'y a plus de relations sexuelles, il n'y a plus d'histoire.

Est-ce que la jeunesse vous éblouit ?

Pas forcément, non. Ce n'est pas un critère. J'ai eu la chance de croiser Fanny Ardant chez Gérard Depardieu, je ne sais pas quel âge elle a, mais elle est ex-traordinairement belle.

Ça veut dire que vous pourriez aimer une femme de 50 ans ?

Ah non, il ne faut pas exagérer ! Ça, ce n'est pas possible.

Vous vous rendez compte que c'est horrible pour les femmes ?

Je vous dis la vérité. A 50 ans, je suis incapable d'aimer une femme de 50 ans.

Pourquoi ?

Parce que.

Expliquez-moi.

Je trouve ça trop vieux. Quand j'en aurai 60, j'en serai capable. 50 ans me paraîtra alors jeune.

Ça vous dégoûte physiquement ?

Non, ça ne me dégoûte pas. Mais ça ne me concerne pas, ça ne me viendrait pas à l'idée. Elles sont invisibles. Je préfère le corps des femmes jeunes, c'est tout. Point. Je ne vais pas vous mentir. Un corps de femme de 25 ans, c'est extraordinaire. Le corps d'une femme de 50 ans n'est pas extraordinaire du tout. Mais je ne suis pas dans la pathologie des mecs qui ne peuvent tomber amoureux que d'une femme de 25. J'en suis capable pour une femme de 40.

Est-ce que l'idée d'être père progresse en vous ?

Oui, c'est en train.

La suite de cette interview est à retrouver dans le numéro 798 de Marie Claire, actuellement en kiosque.

*Rompre, éditions Grasset



Source : https://www.marieclaire.fr/yann-moix-rompre-interv...